Il y a dans la voix de Cédric Ringenbach une clarté tranquille. Celle d’un homme qui ne vend pas de promesses, mais des vérités à affronter. Ingénieur, conférencier, ancien directeur du Shift Project (2010–2016), il a créé un outil de sensibilisation puissant : la Fresque du Climat, un jeu sérieux, 42 cartes fondées sur les rapports du GIEC, plus d’un million de participants dans le monde. Une manière simple et implacable d’ouvrir les yeux.
Lors d’une conférence organisée par EXIL Expérience, Cédric Ringenbach a invité les dirigeants à un exercice difficile : repenser l’entreprise à la lumière du dérèglement climatique. Les organisations ne peuvent plus piloter dans le brouillard. Elles doivent conjuguer performance, responsabilité et lucidité.
L’entreprise: du modèle économique à la conscience écologique
L’entreprise de demain ne se mesurera plus seulement à sa croissance ou à son chiffre d’affaires. Elle se mesurera à sa capacité à durer dans un monde en mutation. Cela exige de revoir nos modèles économiques, nos pratiques managériales, nos indicateurs de réussite.
La réalité scientifique est implacable : la température moyenne mondiale a déjà gagné 1,2 °C. Pour contenir le réchauffement sous les 2 °C, il faudrait réduire les émissions mondiales de 5 % par an, et de 10 % dans les pays développés.
Ce n’est plus une question d’opinion, mais de trajectoire.
Au cœur de l’intervention de Ringenbach, l’équation de Kaya, qui décompose nos émissions de CO₂ en quatre facteurs:
- la population
- le PIB par habitant
- l’intensité énergétique
- l’intensité carbone de l’énergie
Un cinquième paramètre existe: l’intensification des usages, chaque progrès technique nourrit une nouvelle fringale : plus d’écrans, plus de kilomètres, plus de données, plus de tout.
Le paradoxe de l’efficacité
Nous aimons croire que la technologie nous sauvera. Mais chaque gain d’efficacité engendre souvent une nouvelle forme d’excès : le fameux effet rebond.
Les voitures consomment moins, mais elles sont plus lourdes.
Les logements sont mieux isolés, mais plus vastes.
Les appareils numériques sont plus performants, mais infiniment plus nombreux.
L’efficacité seule ne suffira pas.
Nous devons apprendre à faire mieux avec moins. À ralentir. À choisir ce qui compte.
Réparer, partager, réinventer
Face à l’urgence, Ringenbach ne prêche ni le pessimisme ni la naïveté.
Il parle de sobriété heureuse, de l’intelligence collective qui consiste à mutualiser, réparer, prolonger, plutôt qu’à produire encore. Fabriquer un objet concentre souvent le plus gros de son empreinte carbone : jusqu’à 40 % des émissions sur le cycle de vie d’une voiture, par exemple.
Quelques pistes:
- Le partage et la mutualisation : flottes d’entreprises partagées, coworking, plateformes collaboratives.
- L’allongement de la durée de vie : produits réparables, équipements reconditionnés, design robuste.
- La multifonctionnalité : créer des usages pluriels, réduire la profusion d’objets.
Moins de ressources gaspillées, moins de déchets, et paradoxalement, plus d’intelligence dans nos modes de vie.
Agir sur tous les leviers
L’équation de Kaya nous le rappelle : il n’y a pas de solution unique.
La transition écologique se gagnera par la somme de petits pas, de révolutions silencieuses. Moins d’énergie gaspillée, moins de carbone dans l’énergie, des économies orientées vers la qualité plutôt que la quantité. Changer, c’est d’abord une affaire de courage politique et individuel. Chaque achat, chaque vote, chaque conversation est une manière d’agir.
Transformer les modèles économiques et managériaux
Pour Cédric Ringenbach, la transition écologique passe par une refonte en profondeur de la gouvernance. Le carbone doit devenir un indicateur de pilotage au même titre que le résultat financier. Pour cela il faut:
- Former les dirigeants aux réalités du climat.
- Instaurer une culture d’entreprise durable, ancrée dans la sobriété et la coopération.
- Mettre en place des incitations écologiques : fiscalité verte, prix du carbone, innovation circulaire.
- Favoriser les synergies entre acteurs économiques plutôt que la compétition systématique.
Les entreprises qui embrassent cette transformation deviennent plus résilientes, plus humaines, plus désirables. Elles apprennent à penser long terme, à créer autrement, à redonner du sens à leur impact.
La recette pour ne pas ressortir déprimé, c’est qu’on va aussi parler des solutions.
La conférence plénière de Cédric Ringenbach est disponible en ligne. Un moment à écouter non pour se rassurer, mais pour s’armer. Pour repenser nos entreprises, nos habitudes, nos imaginaires.
Transformer l’entreprise, c’est peut-être transformer notre manière d’habiter le monde.



